Résumé: Lors de la traduction, on est confronté à des difficultés de différente nature: lexicales, grammaticales, stylistiques, socioculturelles. Une des difficultés lexicales est la traduction des synonymes. Nous montrons d’où vient cette difficultés du point de vue lexicologique et comment des traducteurs surmontent cette difficulté.
Mots-clés: synonyme, traduction, signe, hyperonyme.
L’activité traduisante présente la réalisation la plus répandue des connaissances et des savoir-faire linguistiques acquis en cours de langue dans des situations de communication réelles liées à la vie personnelle (voyage en famille, accueil des amis étrangers) et professionnelle (correspondance, négociations, documentation). L’objectif de la présente recherche est d’aborder le problème de la synonymie lexicale sous l’angle de la traduction. Nous étudions les origines de la synonymie et ses différents aspects du point de vue théorique. Dans la deuxième partie, nous analysons à travers les textes traduits par des traducteurs professionnels les difficultés de la traduction liées à la synonymie.
La synonymie lexicale
La synonymie est considérée comme correspondance entre un signifié et plusieurs signifiants. L’origine de la synonymie se trouve dans l’asymétrie du signe [voir 3]. La plupart des signes n’ont pas de correspondance complète du signifiant (plan du contenu) et du signifié (plan de l’expression), ce qui provoque la synonymie, l’homonymie et la polysémie. Si nous montrons cette asymétrie d’une manière graphique, nous aurons le schéma suivant (voir Figure 1). [1, p. 251]
Fig. 1. Asymétrie du signe
Deux mots sont dits synonymes quand ils:
sont de même nature,
ont la même fonction grammaticale,
occupent la même place dans la phrase,
peuvent être remplacés l’un par l’autre dans un contexte.
La synonymie peut être testée en effectuant des substitutions en contexte: le 1 mot et le 2 mot peuvent être considérées comme étant synonymes si, en remplaçant le 1 mot par le 2 mot dans une phrase, on obtient une nouvelle phrase à peu près équivalente sémantiquement — c’est-à-dire une paraphrase approximative.
Le peintre expose son tableau/ sa toile/ sa peinture.
Il est essentiel de noter que la synonymie lexicale exacte est rarissime: auto / voiture.
La synonymie lexicale est avant tout une synonymie approximative. Elle varie selon le contexte et le même mot peut avoir des synonymes différents.
«Les synonymes ne sont donc pas nécessairement mutuellement substituables dans tous les contextes. Il suffit cependant que l’on puisse facilement trouver des contextes où la substitution paraphrastique est possible pour que le lien de synonymie soit établi». [2, p. 124]
Elle a envoyé un colis = expédier. On a envoyé un expert = déléguer
Les synonymes se distinguent par une différence d'intensité (fatigué, épuisé), des nuances émotionnelles (père, papa), le registre du langage (voiture, bagnole; ennuyer, embêter), la sphère d'emploi (salaire, traitement, appointements).
Les synonymes approximatifs forment une série synonymique avec un hyperonyme qui est porteur de l’archilexème de la série synonymique.
«L’hyperonymie est la relation sémantique hiérarchique d'une unité lexicale à une autre selon laquelle l'extension du premier terme, plus général, englobe l'extension du second, plus spécifique. Le premier terme est dit hyperonyme de l'autre, ou superordonné par rapport à l'autre. C'est le contraire de l'hyponymie». [4]
Si être vivant est un hyperonyme de animal et animal un hyperonyme de chien, et le chien est hyperonyme de dalmatien, alors être vivant est aussi un hyperonyme de dalmatien.
Mais il n'est pas toujours possible de remplacer un mot par son hyperonyme.
Comparons:
- Regarde ce dalmatien!
- Regarde cet être vivant!
Ces deux phrases n'expriment pas le même sens.
L’écart de sens entre dalmatien et être vivant est bien trop grand pour que l’on puisse considérer ces deux mots comme étant des synonymes approximatifs.
Traduction des synonymes
Les difficultés liées à la traduction des synonymes sont dues à la divergence des éléments des séries synonymiques de deux langues. Ces différences touchent les nuances significatives, affectives, stylistiques et la sphère de l’emploi. On peut représenter cela sous forme d’un schéma (voir Figure 2). [1, p. 251] A un seul élément de la réalité (Sé — signifié) correspondent plusieurs mots (Sa — signifiant) dont la signification est proche. Les éléments entourés des cercles se rapportent à la langue source et des carrés à la langue cible. Il y a des signifiants qui coïncident complètement, d’autres partiellement et les troisièmes ne peuvent être exprimés que par les groupes de mots (ou cette nuance de sens n’est pas du tout exprimée dans une langue donnée).
Fig. 2. Asymétrie du signe lors de la traduction. Synonymie
Maintenant nous regarderons les non-correspondances des séries synonymiques sur des exemples concrets. Pour procéder à la comparaison prenons le mot français demander et le mot russe просить, que l’on peut considérer comme équivalent correct, et les plaçons au centre (voir Figure 3).
Figure 3. Séries synonymiques en russe et en français
Nous pouvons constater que les correspondances exactes sont assez rares. Dans la plupart des cas, plusieurs traductions correspondent à un mot de la langue source. Parfois, il n’y a pas de traduction exacte et il faut recourir à des traductions explicatives. Un autre constat qui découle de cette comparaison est qu’en russe les verbes qui expriment les exigences sont moins nombreux qu’en français.
Pour la traduction des synonymes, nous avons le choix entre différents moyens de traduction. Nous pouvons traduire le mot-source par: son équivalent (exacte ou approximatif), l’hyperonyme, l’hyponyme, donner une traduction explicative ou descriptive (ajout lexical), donner une traduction contextuelle/ situationnelle en changeant complètement la structure de la phrase-source.
Exemples de la traduction
Nous avons étudié les corpus bilingues sur le site «Le corpus national russe» [5] pour trouver des exemples de la traduction des mots de la série synonymique du verbe demander.
Nous vous présentons ici l’analyse de trois exemples de la traduction. Ces traductions ont été faites par des traducteurs professionnels du français vers le russe.
Deux exemples montrent que l’hyperonyme français demander n’est pas traduit par l’hyperonyme russe, c’est, donc, la traduction hyponymique.
(1) Оноре де Бальзак. Прославленный Годиссар (Н. Коган, 1970)
Comment! répondit Vernier que la présence de ses voisins anima, croyez-vous que nous n'avons pas le droit de nous moquer d'un monsieur qui débarque en quatre bateaux dans Vouvray pour nous demander nos capitaux, sous prétexte que nous sommes des grands hommes…..
Как!―возразил Вернье, возбужденный присутствием соседей.- Вы воображаете, что мы не вправе подшутить над хлыщом, который приезжает к нам в Вувре, задирает нос и выманивает у нас наши денежки под тем предлогом, что мы якобы великие люди….
Dans cet exemple, demander est traduit par выманивает. Cette traduction ne fait pas partie de la série synonymique du verbe просить contrairement aux verbes выпрашиватьиливымогать, par exemple. Dans le verbe russe выманивает, il y a des sèmes du mensonge et de la ruse, qui ne sont pas présents dans le verbe demander. En plus, dans la traduction russe l’action est présentée comme accomplie, tandis que dans l’original, c’est une intention.
(2) Оноре де Бальзак. Полковник Шабер (Н. Жаркова, 1949)
Elle se mit à finir une lettre commencée qu'elle écrivait à Delbecq, à qui elle disait d'aller, en son nom, demander chez Derville communication des actes qui concernaient le colonel Chabert…
Графиня принялась дописывать письмо Дельбеку, в котором она поручала ему сходить к Дервилю, затребовать у него от ее имени все бумаги, касающиеся полковника Шабера…
Dans le deuxième exemple, le verbe demander est traduit par затребовать. Comme dans l’exemple précédent, dans la traduction russe il y a des sèmes absents de l’original. Par exemple, l’insistance de la demande et son caractère revendicatif. Mais, en revanche, le verbe russe fait partie de la série synonymique.
(3) Ги де Мопассан. Орля (К. Локс, 1946)
Vous vous lèverez demain à huit heures; puis vous irez trouver à son hôtel votre cousin, et vous le supplierez de vous prêter cinq mille francs que votre mari vous demande et qu'il vous réclamera à son prochain voyage.
Завтра вы встанете в восемь часов, поедете в гостиницу к вашему кузену и будете умолять его дать вам взаймы пять тысяч франков, которые просит у вас муж и которые потребуются ему в ближайший его приезд.
Dans le dernier exemple, nous voyons trois verbes de la série supplier, demander, réclamer qui expriment le différent degré d’intensité de l’action et d’implication du demandeur. Demander — neutre, supplier — demander intensément étant en position de faiblesse, réclamer — demander un peu moins intensément étant en position de force. Les synonymes sont traduits respectivement par умолять, просить et потребуются. Les deux premiers sont des équivalents, en revanche, pour la traduction du troisième verbe, le traducteur change de voix grammaticale et de sujet. Au lieu d’avoir une personne qui réclame de l’argent, nous avons une personne qui en a besoin mais n’insiste pas pour que quelqu’un lui en donne.
Notre but n’était pas de trouver des fautes traductionnelles, car pour affirmer cela, il aurait fallu analyser des segments plus importants, mais de montrer des difficultés qu’on peut rencontrer en traduisant les synonymes. Ces difficultés se placent, premièrement, au niveau de la compréhension des nuances lexicales et stylistiques qui servent à différencier plusieurs mots d’une série synonymique. L’étape suivante consiste à trouver un équivalent dans la langue cible exprimant le plus fidèlement possible toute la gamme sémantique du mot-source.
References:
- POÏARKOVA E. (2006) «L’enseignement assisté par ordinateur de la traduction français-russe (dans le cadre de la formation des professeurs de langues étrangères)», thèse de doctorat en linguistique, sous la direction de CUQ J.-P., Aix-en Provence, Université de Provence, 972p.
- POLGUÈRE A. (2002) Notions de base en lexicologie, Observatoire de Linguistique Sens-Texte, http://www-clips.imag.fr/geta/User/christian.boitet/M2R-SLE-ILP/M2R-SLE-ILP_fr/Polgue %CC %80re-Manuel1080.pdf
- SAUSSURE, F. (1976) Cours de linguistique générale, Paris: Payot [1916]
- Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperonymie
- «Русский национальный корпус». Параллельные корпуса. http://ruscorpora.ru