Dans le présent article l’auteur retrace le chemin fait par les Gargouilles et les Chimères dèsleurs origines jusqu’à nos jours. Il parle du rôle constructif et décoratif de ces personnages dans l’art gotique,montre leur image moderne en comparaison avec leurs prototypes mythologiques et architecturaux, ainsi qu’analyse pourquoi l’image moderne de ces personnages est devenue telle qu’elle est.
Mots clefs: une Gargouille, une Chimère, le système d’évacuation des eaux pluviales, un élément constructif, un élément décoratif, la sculpture, l’architecture, la gothique, l’art moderne, le genre fantasy,la science-fiction
Lors de son premier voyage en France l’auteur du présent article s’est beaucoup intéressée à l’architecture gothique et, avant tout, aux Gargouilles et aux Chimères, à ces êtres mystérieux qui contemplent les villes médiévales de la hauteur des cathédrales. Se sont-ils pétrifiés pour toujours? Sont-ils présents dans notre vie d’aujourd’hui? Mènent-ils une vie moderne? Leur chemin sur la Terre, continue-t-il? Toutes ces questions sont à la base du présent article et identifient son problématique. Le but de la présente recherche est
– d’identifier la place qu’occupent les Gargouilles et les Chimères dans l’art moderne; d’identifier leur rôle et leur image dans l’art moderne
– de comprendre si leur rôle et leur image dans l’art contemporain sont aussi considérables qu’aux époques de l’Antiquité et du Moyen Age
– de comprendre si leurs rôles et leurs imagesmodernesdécoulent logiquement de leur rôle et de leur image antiques et moyenâgeux respectifs.
Les Gargouilles et les Chimères sont très bien représentées dans les domaines différents de l’art moderne. Malgré cela il existe très peu d’études qui présenteraient une synthèse et donneraient une classification exhaustive du rôle et de l’image de ces personnages dans l’art moderne. Par la présente étude l’auteur voudrait combler cette lacune. C’est en cela que consiste l’actualité de la présente recherche.
La plupart des études sur les Chimères et les Gargouilles qui nesont d’ailleurs pas très nombreuses sont soit consacrées aux origines de ces personnages, à leur rôle dans la mythologie grecque et/ou dans l’architecture médiévale, soit énumèrent les rôles que jouent ces personnages dans l’art moderne sans donner une analyse approfondie, sans suivre la continuité de leurs images dès origines jusqu’à nos jours. L’auteur de la présente recherche essaie de combler également cette lacune en suivant les différentes transformations qui ont touché les rôles que jouaient et les images qu’avaient ces personnages dans l’art du moment de leur apparitionjusqu’au XXIe siècle, en démontrant que ces transformations ne sont pas dues au hasard. C’est en cela que consiste la nouveauté de la présente recherche.
Fig. 1: Une des Chimères de Notre-Dame de Paris
A Paris sur l’île de la Cité s’élève l’unedes cathédralesles plus connues au monde:Notre-Dame de Paris. Construite entre 1163 et 1345 au style gothiqueelle donne abri aux nombreux êtres mystérieux: aux Gargouilles et aux Chimères. Il est vrai qu’il existe dans le monde beaucoup d’autres cathédrales construites au style gothique. Il n’est pas moins vrai que plusieurs d’entre elles sont habitées par des Gargouilles. Mais il est aussi vrai que c’est grâce aux Gargouilles et auxChimères de Notre-Dame de Paris que ces êtres sont devenus connus et célèbres dans le monde entier.
Fig. 2. Un temple antique
Les Gargouilles sont des éléments constructifs qui ont apparu à Notre-Dame de Paris pendant les travaux de la construction de la cathédrale au Moyen Age et qui servent à évacuer les eaux pluviales [1, p. 118].
Fig. 3. Un temple antique: écoulement des eaux pluviales
En effet, le réseau d’écoulement des eaux pluviales est un des réseaux essentiels de toutbâtiment. Encore les architectes de l’Antiquité y accordaient une grande attention. Dans ce but, ils utilisaient largement la corniche(photo 2).
Fig. 3 démontre bien que l’eau des pluies coulait par le toit incliné, tombait dans le chéneau horizontal placé dans la corniche et après se déversait par terre.Comme l`a écrit Gneditch dans son Histoire mondiale des Arts:«la ligne horizontale de la corniche traduisait l’attachement des Grecs à la terre» [2, p. 307].
Avec le temps la religion, la vision du monde, le mode de vie des gens ont changé. L’Antiquité a cédé sa place au Moyen Age. L’architecture romane a pris place de celle de l’Antiquité et a complètement abandonné le chéneau.
Fig. 4. Gargouille comme élément du système d’évacuation des eaux pluviales;Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle
L’architecture gothique, qui lui a succédé, se caractérise par un petit encorbellement de la corniche. Alors, pour protéger les murs contre la pluie, elle est revenue à l’utilisation des chéneaux oubliés àl’époque romane [3, p. 334]. C’est ainsi que les Gargouilles ont apparu comme couvercles aux chéneaux [3, p. 336].
Sur le Fig. 4 nous voyons comment fonctionnaient les Gargouilles comme élément du système d’évacuation des eaux de pluies.
La partie b du schéma 2 montre que l’eau coulait d’abord dans le chéneau horizontal (flèche bleu foncé), après tombait dans le chéneau vertical (flèche verte), après par la gueule de la Gargouille se déversait soit dans le troisième chéneau incliné (flèche orange) et ensuite par terre, soit directement par terre. (Fig. 5)
Fig. 5. L’eau se déversant par la gueule d’une Gargouille
Fig. 6. Gargouillesplacées aux angles des tours
Outre cela, pour mieux préserver les murs contre les eaux pluviales on plaçait les Gargouilles aux angles des tours, c’est-à-dire, aux endroits les plus éloignés des murs [3, p. 334] (Fig. 6).
Par la suite, on a donnépréférenceaux Gargouilles plus petiteset légèresplacées tout aulongdu chéneau: ainsi, l’eau des pluies se divisait en plusieurs petits jets qui coulaient du toit.
La fonction constructivedes Gargouilles explique bien leur forme: ce sont pratiquement des statues couchéesqui ont souvent un chéneau dans le dos ou une langue tirée toujours dans le but de l’évacuation des eaux de pluies (Fig.7)
Fig. 7. Gargouilles de la basilique du Sacré-Coeur (Paris, France); leur rôle d’éléments servant à évacuer l’eau pluviale est évident
Fig. 8. Gargouille en fer du château de Wawel, Cracovie, Pologne
En France, en général, on faisait les Gargouilles en pierre. Or, dans les régions où il n’y avait pas de pierre ou qu’elle était très chère on les faisait en métaux, tels que le fer, le plomb et l’étain.Ceci est typique pour l’aire de répartition de la Gothique de brique (toujours pour la raison de manque de pierre) comprenant l’Allemagne de Nord, la Pologne, la Biélorussie et les pays Baltes (Fig. 8).
Bien que les Gargouilles soient des élémentsconstructifs, les architectes et sculpteurs gothiquesn’oubliaient pas le côté esthétique en donnant aux Gargouilles les apparences tout à fait différentes.Et ce n’est pas par hasard. D’une part, les Gargouilles reflètent au mieux l’époque où elles ont apparu. On ne peut que répéter ce que disait de l’architecture gothique Victor Hugo: «Le livre de l’architecture n’appartenait plus au clergé, à la religion, à Rome, mais à l’imagination»... [4, p.106–107]
D’autre part, chaque Gargouille reflète le monde intérieur du sculpteur, du peintre ou de l’artisan qui l’avait créée. Les peintres-artisans rendaient hommage au Dieu non pas de la même manière que le clergé. Selon un scientifique«ils créaient la couronne pour le Dieu de tous les êtres vivants» [4, p. 107]
C’est pour cette raison, que les Gargouillessont toutes différentes et ne ressemblent pas l’une à l’autre. Elles peuvent avoir l’air des animaux imaginaires (des dragons, des licornes),
des animaux réels (des singes, des loups, des chiens, des lions), des êtres mythologiques comme des ondines, centaures et cirènes, et même des gens, p.ex., des moines et des bouffons (Fig. 9–10).
Fig. 9. Gargouille ayant l’apparence d’un être imaginaire
Fig. 10. Gargouille ayant l’apparence d’une lionne, Notre-Dame de Reims, France
On dit que dans toute la France on ne peut pas trouver deux Gargouilles identiques (Fig. 11)
Fig. 11. Gargouilles: la vie et la mort de l’homme
Une telle diversité des apparences des Gargouilles est due à l’épanouissement de la sculpture à l’époque gothique. Les cathédrales telles que Notre-Dame de Paris, d’Amiens et de Chartres comptent chacune (à l’intérieur et à l’extérieur) jusqu’à deux mille sculptures!Selon Max Dvořák, historien d’art, «chaque œuvre d’art et chaque forme d’art c’est le miroir qui reflète l’attitude de l’homme envers le monde qui l’entoure» [5, p. 86]. Ainsi, la sculpture gothique, et en grande partie les Gargouilles comme partie intégrante de la sculpture gothique traduisent pour nous la vision du monde de l’homme de l’époque médiévale, avec ses croyances, ses peurs, ses joies et ses tristesses.
Quant au nom des Gargouilles, on ne connaît pas exactement sa provenance. Il existe deux versions. La première version est scientifique. Selon elle, le nom des Gargouilles provient de deux racines:
– la 1ère racine ‘’garg’’est latine: «gargarizare» en latinsignifie «gargariser» en français
– l’autre racine est de l’ancien français: «goule» en ancien français signifie «unegueule» en français moderne
Selon la deuxième version «La Gargouille» est le nom d’un dragon qui vivait dans la Seine et dévorait les gens et les bêtes. Romain de Rouen, archevêque de Rouen (VIIe s.) l’a domptée par la force de la sainte prière. (Fig. 12)
Fig. 12. Saint Romain,la Gargouille à ses pieds;Notre-Dame de Rouen
Ainsi, «La Gargouille» comme un nom propre aapparu considérablement avant le terme architectural.
Il est intéressant de remarquer que racontée parcertains cette légende se termine de manière moins optimiste,mais crée un lien direct entre le dragon qui vivait dans la Seine et l’élément architectural appelé «une Gargouille».Selon cette autre variante les habitants de Rouen ont quand même exécuté la Gargouille en la brûlant à vif. A la différence du corps et de la queue la tête et le cou de la Gargouille n’ont pas brûlé. Alors, Romain de Rouen a ordonné d’accrocher la tête et le cou de la Gargouille à une des façades de Notre-Dame de Rouen pour que les autres dragons sachent ce qui arrive à ceux qui nuisent aux gens.Cela est devenu prémisse à l’apparition de l’élément architecturalque nous connaissons sous le nom de «Gargouille».
Fig. 13. Le Stryge — la plus connue des Chimères de Notre Dame
A la différence des Gargouilles, les Chimères sont des éléments décoratifs. Elles ne se sont installées à Notre-Dame de Paris qu’au milieu du XIXe siècle pendant les travaux de la grande restauration de 1841–1863 [6, p. 458–459;].Ces êtres nous rappellentla présence permanente de la forcediabolique à côté de la force divine; celle-là ne brise pourtant ni la structure du monde ni son harmonie, mais lui confère l’irréalité et la diversité. Selon Ouspenskiy, les Chimères «pensives,mélancoliques, surveillantes, moqueuses... — représentent l’âme de Notre-Dame, ses différentes facettes [7, p. 62]…»
Fig. 14. Chimère, le musée du Louvre, plateau à figures rouges, environs 350–340 av.J.C.
Le personnage de Chimère est encore plus ancien que celui de Gargouille, il remonte à l’époque de l’Antiquité. Dans la mythologie grecque la Chimère est un être avec la tête d'un lion, le corps d'une chèvre et la queue d'un dragon ou d’un serpent [8, p. 53–54; 9,p.190] (Fig. 14).
Elle brûlait tout ce qu’ellerencontrait sur son chemin,les villes et les villages,les forêts et les champs et elle a été vaincue par Bellérophon, un héros grec[8, p. 43; 9,p.190] (Fig. 17).
Ce n’est pas donc par hasard que dans l’art moderne la Chimère symbolise le mal, les malheurs qu’elle porte.
Avec le temps la notion de «chimère» s’est transformée en notion de «chimérique» et a commencé à désigner quelque chose d’incompréhensible,d’incompatible. Selon les dictionnaires: «chimérique» signifie «illusoire, fou, fantastique, vain,impossible, irréaliste,irréalisable, irréel, utopique [10, p. 366]».
Cette vision moderne de «Chimère» est reflétée dans les deux films connus: Mission impossible 2 par John Woo paru en 2000 et Splice par Vincenzo Natali sorti en 2010.
Dans le film Mission impossible 2 la Chimère est un virus mortel, une arme biologique. Quelque chose qui est incompatible avec la nature humaine, dont l’existence devrait être impossible.Et comme on peut deviner l’antivirus porte le nom de Bellérophon, le nom de celuiqui a vaincu la Chimère dans le mythe grec (Fig. 15–17).
Fig. 15. Mission impossible 2: Affiche du film
Fig. 16. Mission impossible 2: Scène du film
Fig. 17. Bellérophon tue Chimère
Fig. 18. Splice: Affiche du film
Dans le film Splice, la Chimère est un être-tueur qui est le résultat des expériences sur l’ADN de deux jeunesscientifiques Elza et Klive qui ont dérogé aux normes éthiques. La Chimère est un être méchant qui ne leur apporte que des malheurs (Fig. 18).
Ces deux films démontrent que dans le cinéma moderne la Chimère représente des monstres et des mutants de toutes sortes portant malheur. C’est vraiment un être incompréhensible, un être incompatible avec les valeurs humaines,tout comme l’étaitson prototype grec.
Mais revenons aux Gargouilles. Leur rôledans l’art moderne est plus compliqué. A la différence des Chimères, dès leur apparition elles n’avaient ni de caractère initial ni d’image initiale. Les Gargouilles n’avaient qu’un seul trait commun: leur image ne correspondait pas aux images des groupes sculptés religieux des cathédrales. Aux XIXe-XXe siècles c’est cette incohérence qui a provoqué l’intérêt des Européens aux Gargouilles et à tout le Moyen Age.En quelque sorte elles sont devenues clef pour la compréhension du Moyen Age.
Avec le temps la fonction constructive des Gargouilles a été oubliée; ce n’était plus que leur fonction décorative qui comptait: les gens ont commencé à croire qu’on plaçait les Gargouilles sur les cathédrales pour faire peur et chasser les démons. Les notions des Gargouilles et des Chimères ont fusionné. En conséquence, dans l’art moderne le personnage a souvent l’air d’une Chimère bien qu’on l’appelle une Gargouille. Ce qui est important c’est que c’est presque toujours un être méchant portant malheur. Nous rencontrons un tel personnage dans la fameuse série X-Files: Aux frontières du Réel (3ème saison, 14ème épisode GrotesqueouLe Visage de l’horreur(Fig. 19)).
Fig. 19: personnages principaux du film X-Files
Dans cet épisode le tueur en série croyait être possédé par le démon qui provenaitde la France médiévale et appelait «une Gargouille».Il la dessinait et sur ses dessins nous voyons des Chimères (Fig. 20).
Fig. 20. une Gargouille telle que dessinée par le tueur en série du film X-Files
Il est intéressant de noter qu’en russe il existe même trois termes différents:
– «гаргуйль» ou «гаргулья» avec un «a»est un terme architectural [11, p. 118; 12, p. 61; 13, p. 136; 1,p.118]
– «горгулья» avec un «o» désigne le personnage des genres fantasy et science-fiction, fusion d’une Chimère et d’une Gargouille [14, p. 49].
Fig. 21. Doom 3: Ressurection of Evil: Affiche du jeu
Or, cette différence n’existe pas en français.
Au XXe siècle le genre fantasy entre en vogue. Les Gargouilles et les Chimères en deviennent personnages importants. Dans le cadre du genre “fantasy” ce sont le plus souvent des personnages démoniaques, demi-anthropomorphes, volant, ressemblant aux chauves-souris, agissant le plus souvent en groupe. C’est ainsi qu’ils sont représentés dans
le jeu vidéo Doom 3: Ressurection of Evil(Fig. 21).
Il est à préciser, que dans le cadre du genre fantasy il existe deux compréhensions de la fusion «Chimère — Gargouille».La première compréhension est la compréhension de ce personnage comme gardien de son habitation. Précédemment nous avons parlé de ce qu’au XIXe-XXe siècle les gens ont commencé à penser que les Gargouilles étaient placées sur les cathédrales pour faire peur et chasser les démons. C’est cette idée qui est à la base de la compréhension du personnage hybride de Chimère et de Gargouille comme gardien de son habitation. C’est le cas du dessin animé Gargoyles, les anges de la nuit de Greg Weisman (1994). Les personnages de ce dessin animé s’appellent Gargouilles bien qu’elles aient l’apparence des Chimères. Elles vivent dans un château écossais du Xe siècle qu’elles gardent.Et elles continuent à garder et à protéger leur habitation, même
lorsque un gratte-ciel new-yorkais du XXe siècle le devient. Dans ce dessin animé on abandonne l’image de ces personnages hybrides comme des êtres méchants: il est vrai que ces personnages peuvent tuer, mais seulement pour accomplir leur devoir de gardiens de leur maison (Fig. 22).
Fig. 22. Gargoyles, les anges de la nuit: Affiche du dessin animé
De même, dans le dessin animé Le Bossu de Notre-Dame par Gary Trousdale et Kirk Wise (1996) le rôle principal que jouent les trois Gargouilles c’est la garde de Notre-Dame de Paris (Fig. 23).
Fig. 23: Le Bossu de Notre-Dame: épisode du film
Une des Gargouilles s’est installée au Japon. Elle est le personnage principal de l’animé Gargouille de la maison Yoshinaga (2004–2008).Dans ce rôle de gardienne elle sent le degré de mal de différentes personnes et chasse les plus mauvaises. En quelque sorte, elle «chasse les démons» (sujet dont nous avons parlé plus haut) et garde ainsi la maison de sa jeune propriétaire et même toute la ville (Fig. 24).
Fig. 24.Gargouille de la maison Yoshinaga: épisode du film
Dans les fameux livres surHarry Potter par Joanne K. Rowling (1997) les Gargouilles remplissent également le rôle de gardiennes: deux Gargouilles gardent l’entrée de la salle des professeurs, et une autre Gargouille garde l’entrée du cabinet du directeur de Hogwarts (Poudlard en version française) [15] (Fig. 25).
Fig. 25. Gargouille de Hogwarts
La deuxième compréhension de ce personnage hybride de Chimèreet de Gargouilleest basée sur son lien avec l’architecture qui lui communique des traits mystiques complémentaires.
Les réalisateurs,écrivains, créateurs des jeux vidéo jouent sur le thème de pétrification et de vivification de pierre.Ainsi, dans les jeux vidéo de la série Warcraft 3 les Gargouilles ont la capacité de se transformer en pierre pour guérir leurs blessures.
Fig. 26.Terry Pratchett Le Disque-monde
A l’avisde l’auteur, l’œuvre qui représente le mieux les visions modernes des Gargouilles et des Chimères c’est le cycle des livres de Terry Pratchett Le Disque-monde[1].
Fig. 27. carte du Disque-monde de T.Pratchett
L’action se déroule sur une planète fantastique. Les Gargouilles est une des races qui la peuplent.Elles ont l’apparence des Chimères et conservent leur caractère méchant. Comme l’auteur écrit:
«Les oiseaux ne faisaient jamais de nids sur les immeubles colonisés par les Gargouilles,même les chauves-souris préféraient contourner ces immeubles [16, p. 194]».
La fonction constructive initiale des Gargouilles comme d’un élément du système d’évacuation des eaux de pluies est également très bien représentée:
Les Gargouilles vivent en symbiose avec les gouttières: d’abord, avec leurs oreilles elles collectent l’eau; ensuite, elles la tamisent dans leurs bouches, puis la déversent. C’est ainsi qu’elles se nourrissent.
Le thème des Gargouilles — gardiennes et celui de la pétrification sont aussi présents dans le roman:
–les Gargouilles travaillent dans la garde de la ville (c’est le thème des Gargouilles — gardiennes)
–elles travaillent aussi dans une compagnie de sémaphores grâce à leur capacité de rester longtemps sur la même place et être en surveillance (c’est le thème de pétrification): «Les Gargouilles aimaient la hauteur plus que toute autre chose dans le monde... Un être raisonnable, un être observateur... elles ne s’ennuyaient jamais. Comment quelque chose peut devenir ennuyeux à un être qui est prêt à rester assis pendant de longues années le regard fixé droit devant lui? [17, p. 401]»
L’architecture modernerecourt aussi aux Gargouilles, mais seulement comme à un élément décoratif. Nous voyons les Gargouilles sur les façades deChrysler Building, un célèbre gratte-ciel new-yorquais, construit en 1930 (Fig. 28–29)
Fig. 28. uneGargouille de Chrysler Building, New York, USA
Si les Gargouilles deChrysler Building est partie intégrante du dessein des architectes, il existe dans le monde des Gargouilles qui ont apparu sur les façades des édifices plusieurs siècles après leur construction.
Fig. 29. Chrysler Building, New York, USA
Fig. 30. Gargouille ayant l’apparence d’un étudiant à lunettes, Oxford, UK
C’est le cas du fameux étudiant à lunettes qui s’est installé au murdu collège Magdalène à Oxford (Grande-Bretagne) lors des travaux de restauration du milieu du XXe siècle (Fig. 30).Il est vrai que ce n’est pas une Gargouille au sens initial du terme.Cette sculpture ne remplit pas de fonction constructive car ne sert pas à l’écoulement des eaux pluviales. On l’appelle une «Gargouille» en raison de sa forme saillante et de soncaractère satirique typique pour les Gargouilles moyenâgeuses. Il suffit de regarder certaines d’entre elles pour s’en assurer. Selon Peter Zager,en se référant à l’architecture du Moyen Age les collèges d’Oxford confirment que latradition architecturale ne s’est jamais interrompue [18, p.108]
Fig. 31.Gargouille à caractère satirique
Telle est l’évolution des Gargouilles et des Chimères des temps anciens jusqu’à nos jours.
A l’avis de l’auteur, de nos jours, l’exploitation de l’image des Gargouilles et des Chimères dans les domaines artistiques tels que la littérature, le cinéma, les dessins animés est limitée par le genre fantasy et le genre de science-fiction où elles occupent une place importante et même très importante.
Ces personnages inspirent également les créateurs des jeux vidéo.
Les résultats obtenus montrent que les chemins faits par les Gargouilles et les Chimères sont différents.
Depuis l’Antiquité la Chimère a changé d’apparence pour avoir des traits modernes sans avoir changé d’essence,au fond elle est restée la même. Aujourd’hui comme à l’époque de l’apparition de ce personnage l’apparence de la Chimère correspond à son essence. Cela prouve que l’image moderne de ce personnage découle logiquement de son image antique; son rôle d’un être méchant portant malheurs n’a pas changé au fil du temps.
L’étude montre que les changements des Gargouilles étaient plus compliqués.Ayant perdu leur identité physique elles ont fusionné, se sont confondues avec le personnage de Chimère. Ceci a déterminé la naissance d’un nouveau personnage ayant l’apparence des Chimères, les traits de caractère des Gargouilles et des Chimères, et qu’on appelle plus souvent «une Gargouille». Pour des raisons exposées dans le présent article cette fusion paraît très logique.
Dans l’art moderne ce personnage hybride de Chimère et de Gargouille a deux images principales: l’image de gardien de l’habitation et l’image d’un être capable de se pétrifier et de vivifier par la suite. Les deux images sont déterminées par le lien avec le rôle constructif initial des Gargouilles que ce personnage hybride a gardé.
En même temps, on ne peut ne pas remarquer que l’image du personnagehybrides’est considérablement simplifiéedans l’art moderne par rapport à son image dans l’art des époques précédentes.Si les sculpteurs gothiques se donnaient aux Gargouilles qu’ils créaient, s’ils dotaient chacune d’elles de traits de caractère uniques, la plupart des œuvres modernesne représente notre personnage hybrideque comme un monstre (différent d’une œuvre d’art à une autre) pour faire peur.
La recherche réalisée permet d’affirmer que même dans l’architecture moderne les Gargouilles ont cédé leur place d’éléments constructifs, de nos jours elles ne jouent que le rôle décoratif.
Ainsi, le chemin fait par les Chimères et les Gargouilles est long. L’homme moderne les voit autrement que l’homme des époques précédentes. Cela se reflète dans l’art moderne. Cela est démontré par les films, dessins animés, livreset jeux vidéo dont nous avons parlé. Cela se voit aux façades des bâtiments.Cette différence de perception est due à ce que l’homme moderne les voit à travers le prisme du scepticisme et du réalisme qui lui sont propres.
Or, même malgré la mentalité moderne de nos jours tout comme autrefois ces êtres troublent notre imagination et nous font réfléchir de l’éternel et du quotidien comme ils le faisaient tout au long de leur existence.
Espérons que leur histoire ne s’arrêtera pas là et que encore pendant très longtemps elles garderontleurs secrets en nous les dévoilant de temps en temps.
Fig. 32. Une Chimère de Notre-Dame de Paris
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[1]La série de romansdu Disque-mondede Terry Pratchettcomporte 40volumes, dont les romans Le Guet des Orfèvres etTimbré cités dans le présent article, et un certain nombre d’ouvrages hors-série.